Le népotisme au sommet de l’Etat sénégalais : de Senghor à Macky Sall

Népotisme au somet de l'État sénégalais - De Senghor à Macky SallLe président Macky Sall dans un avion à l'aréoport international Blaise Diagne - Photo : Facebook/Macky SALL

Wikipédia définit le terme de népotisme comme « la tendance de certains supérieurs ecclésiastiques, évêques et papes et par extension certains dirigeants d’autres institutions, à favoriser l’ascension des membres de leurs familles dans la hiérarchie qu’ils dirigent, au détriment des processus de sélection ordinaires et du mérite ».

Le dictionnaire en ligne ajoute que le terme désigne par ailleurs « une tendance à accorder des avantages à des relations, des amis proches, voire à des membres d’un groupe d’origine, ethnique ou religieux commun, indépendamment de leur valeur. Il est alors synonyme de favoritisme ou de copinage ».

Si le terme tire son origine de la vie ecclésiastique, il n’en demeure pas moins vrai, que son usage et pratique vont bien au-delà. En politique par exemple, le terme fait référence aux « faveurs qu’un homme ou une femme au pouvoir montre envers sa famille ou ses amis, sans considération du mérite ou de l’équité, de leurs aptitudes ou capacités » selon toujours Wikipédia.

De cette définition, il ressort que le champ lexical du terme de népotisme s’étend aux notions de « pouvoir », « position », « autorité », « favoritisme », « préférence », « injustice », « illégalité », « liens de parenté », etc. Cet état de fait particulier mérite une pleine attention, en ce sens que le phénomène semble mal s’accommoder avec les principes républicains et d’Etat de droit (transparence et égalité de tous les citoyens devant la loi) et de Démocratie où le mérite est vu comme un pilier essentiel dans la vie et la bonne marche de l’Etat.

En l’espèce, qu’en est-il alors du Sénégal qui se définit, en substance, comme une République démocratique? Le présent article-opinion intérroge la pratique du népotisme au sommet de l’État sénégalais durant les présidences de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf, d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall, l’actuel président.

Senghor à l’épreuve de ses principes intellectuels

« La famille est un ennemi en politique, il faut l’en éloigner le plus loin possible ». Cet argument péremptoire de Senghor aurait clos le débat sur le népotisme au sommet de l’Etat, si son auteur lui-même l’avait mis en pratique, mais que nenni.

Le premier président sénégalais a beau policer ses discours et jouer sur le sens des mots, il n’a toutefois pas échappé à la tentation d’une « démocratie monarchique » en usant de sa position de chef pour « caser » des proches dans les hautes sphères de l’Etat.

En effet, Senghor confia à son neveu, Adrien Senghor, le portefeuille du ministère chargé du Développement rural. Ce dernier deviendra plus tard ministre de l’Equipement, qui aurait facilité au fils du Président l’obtention d’un prêt bancaire de près d’un milliard de francs CFA pour le montage d’une maison de disques, Golden Baobab.

L’appétit venant en mangeant, Adrien Senghor aurait, selon Amadou Tidiane Wane, ancien collaborateur des trois premiers présidents du Sénégal, formulé le vœu d’être nommé premier Ministre.

Ce souhait n’est pas anodin encore moins fortuit, dès lors que le poste convoité conférait de facto à son détenteur le statut de dauphin du président de la République en vertu de l’article 35 de la Constitution.

Dans la galaxie familiale ou par alliance de Senghor, on retrouve aussi Maurice Sonar Senghor, un neveu de lui, à la tête du Théâtre National du Sénégal. Il faut dire que ce poste n’en est pas moins stratégique au regard de l’importance qu’accordait Senghor à la Culture.

L’époque s’y prêtait particulièrement d’autant plus que les premières décennies d’après-indépendance étaient caractérisées par « une affirmation de soi », une recherche effrénée « d’identité culturelle ». Le célèbre mouvement de la « Négritude », qui tire son essence de « la défense des valeurs culturelles nègres » battait son plein. Senghor en est d’ailleurs l’un des pères fondateurs.

Jean Colin, époux d’une nièce du Président en exercice, était une pièce maitresse dans l’attelage gouvernemental de Senghor. Il fut nommé ministre des Finances de 1964 à 1971 et ministre de l’intérieur jusqu’au départ de son mentor du pouvoir en 1981. Pour autant, il est délicat de mettre en lien la nomination de ce français naturalisé sénégalais et son mariage avec une nièce de Senghor.

Tout compte fait, on peut retenir de la présidence de Senghor une face « moins hideuse » de ce mal d’Etat, qu’est le népotisme. Citor (2019 : 40f) précise à cet effet que « le premier président [Senghor ndlr] est le moins stigmatisé dans la gestion familiale de l’Etat en matière de népotisme».

Abdou Diouf : presque dans le sillage de Senghor

La présidence de Diouf s’est inscrite dans une logique de perpétuation de l’héritage senghorien en matière de népotisme. Quelques de ses proches ont bénéficié de son décret de nomination.

Maguette Diouf, un de ses frères, fut mis à la tête du contrôle des mines principalement constituées de phosphates. La découverte de gisements de fer et d’or dans le sud-est du Sénégal et dont la gestion était jusque-là confiée à des étrangers donna plus d’ampleur à ce département qui tomba selon Citor « dans l’escarcelle de la famille ».

Amadou Tidiane Wane confie par ailleurs avoir convaincu Abdou Diouf de promouvoir ses frères, qu’il trouvait « compétents et aptes » à occuper le poste. A Maguette revint successivement la Direction de l’informatique de l’Etat et le ministère de la Modernisation de l’Etat.

Djibril Diouf se retrouva d’abord à l’ONCAD, l’Office National de Commercialisation et de Développement, ensuite à la SONAR, la Société Nationale d’Approvisionnement du monde Rural.

Diouf promut son oncle Médoune Fall comme ministre de l’intérieur puis des Forces Armées. Relativement à l’image de Senghor, Diouf ne semble pas avoir « abusé » de sa prérogative constitutionnelle de nomination en mettant sa famille au-devant de la scène politique.

Jusque-là cette question s’était inscrite en marge des préoccupations des sénégalais. Mais ceux-ci n’allaient point tarder à voir apparaitre au grand jour le phénomène du népotisme avec l’avènement de l’alternance politique en 2000.

Abdoulaye : au nom de Madame, du fils et de la fille

A Abdoulaye Wade, le nouveau président, fut reprochée « une patrimonialisation du pouvoir » sans autre forme de procès. Une fois installé, il fit appel, deux ans après son élection, à son fils, alors agent bancaire chez UBS Warburg, une banque d’affaires à Londres.

Karim Wade, est entré dans la conscience collective sénégalaise grâce à l’accession de son père à la magistrature suprême qui le nomma au début conseiller. « Le rôle de Karim, c’est d’être… mon fils. Il m’aide provisoirement à la mise en place des services de la présidence de la République. Karim me conseille, mais il n’a pas de bureau à la présidence. Il sait des choses que je ne sais pas. C’est un homme d’action ». Telle est la réaction du père interpelé sur le rôle grandissant de son fils dans l’appareil d’Etat.

De fil en aiguille, Karim Wade prend goût au pouvoir, assoit son assise à coup de décrets présidentiels et tisse son petit carnet d’adresses. Dans son rôle de conseiller Karim est aussi chargé de la mise en œuvre des grands projets dont le futur Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) et la restructuration des Industries chimiques du Sénégal (ICS).

En 2004 Wade propulse son fils à la tête de l’Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI) dont le 11ème sommet devait se tenir en 2008 dans la capitale sénégalaise. Ce qui impliquait de donner un « nouveau visage » à Dakar à travers des investissements colossaux pour la réalisation d’infrastructures immobilières et routières nouvelles, dignes du standing des participants venus en majorité des pays arabes.

On sent l’ombre de Karim partout ou presque: Directeur du plan Takkal, censé résoudre les problèmes chroniques d’électricité, Chargé de la résurrection d’une compagnie aérienne nationale à la suite de la faillite de Senegal International, Chargé, en sus des travaux de l’Aéroport Blaise Diagne, de l’autoroute à péage de Dakar à Diamniadio.

Karim ne s’arrête pas en si bon chemin. Il se voit nommé « superministre », qui cumule des ministères non moins stratégiques : la Coopération internationale, les Transports aériens, les Infrastructures, l’Aménagement du territoire et l’Energie. Les sénégalais le surnomment alors le ministre « du Ciel et de la Terre », qui bénéficie de tout mais d’aucune légitimité politique.

Ce fils à papa essuya, en effet, une cuisante défaite dans son fief lors des élections locales de 2009. Abdoulaye Wade, pris de court par cette déculottée, aurait tenté cette fois d’imposer son fils aux sénégalais avec un projet de loi inédit : Un ticket de président et vice-président au sommet de l’Etat et surtout le quart bloquant.

On prête ainsi au président des ambitions dynastiques en échafaudant une dévolution monarchique du pouvoir à son fils. Le soulèvement populaire du 23 juin sous le slogan de « Wade dégage » a eu raison dudit projet.

Le cas Karim Wade a certes occupé le devant de la scène au point de faire ombrage à celui de sa sœur cadette Sindjéli Wade qui, du reste, agissait dans les coulisses comme conseillère de son père, jusqu’à sa nomination à la tête du FESMAN, Festival mondial des Arts nègres, dont Dakar devrait organiser le sommet en 2010.

La fille du président s’illustra de manière fort remarquée dans la danse : Ce festival a coûté, au bas mot, 150 milliards de francs CFA au contribuable sénégalais à la place des 5 milliards initialement prévus. La Première Dame Viviane ne fut pas en reste avec sa Fondation « Solidarité et Partage », particulièrement active dans la région aurifère de Kédougou, précisément à Ninéfécha, où un hôpital dernière génération est sorti de terre.

Dans ce qu’il convient d’appeler « le clan des Wade », on retrouve un neveu, Ndiouga Sakho, comme directeur général de la SAPCO (Société d’Aménagement de la Petite Côte). La Petite Côte constitue la première zone touristique du Sénégal. Grâce au décret présidentiel, Fatou Ndiaye, une nièce du président, devient consul à Houston; Doudou Wade, un neveu, président du groupe parlementaire du parti au pouvoir. Lamine Faye, un neveu et garde du corps du président, est promu au grade d’officier de police judiciaire.

Avec le président Wade la racine du népotisme au sommet de l’Etat est devenue plus ferme et ancrée dans la patrimonialisation du pouvoir. Toutefois, à y regarder de près, l’on se rend compte que cette propension népotique connait une tendance évolutive constante de Senghor à Wade, qui allait passer, en 2012, le « témoin » à son successeur Macky Sall, un digne fils spirituel en la matière.

Macky Sall ou la dynastie Faye-Sall au cœur du pouvoir

S’il a été question durant le règne des trois premiers présidents sénégalais (Senghor, Diouf et Wade) d’un népotisme circonscrit au sein de la famille proche, il en est tout autrement avec Macky Sall, qui a fini par instaurer une véritable « dynastie » des temps modernes dans la gestion de l’Etat. Sa présidence est émaillée de travers et d’errements sans commune mesure en comparaison avec celles de ses prédécesseurs.

Népotisme au Sénégal - Macky Sall

Pape Alé Niang, célèbre chroniqueur et journaliste d’investigation affirme qu’avec Macky Sall on ne se contente pas seulement de toucher le fond mais on le creuse à tous les niveaux du pouvoir. Il est ici question de népotisme. La dynastie « Faye-Sall-Gassama… », qui met au centre des affaires la famille présidentielle élargie – celles du président (Sall), de la première dame (Faye) et des proches par alliance (Gassama, Timbo…), montre comment le phénomène népotique est devenu un serpent de mer au sommet de l’Etat sénégalais.

Déjà en 2006, Macky Sall, premier ministre sous Abdoulaye Wade, donnait la couleur. Son jeune frère Aliou Sall bénéficiait d’un décret nominatif au poste de conseiller technique à l’ambassade du Sénégal en Chine, par ailleurs chargé du bureau des affaires économiques.

Une fois élu à la magistrature suprême, Macky Sall ne fera que lui baliser le chemin menant aux hauts arcanes du monde des affaires et du pouvoir. Certes Aliou Sall n’a jamais été ministre comme ce fut le cas pour certains frères et fils de présidents au Sénégal et ailleurs, mais force est de constater qu’il n’a rien à envier à ces promus.

Sur le plan des affaires, il toucha un « jackpot » grâce à un décret présidentiel, qui confirmait celui d’Abdoulaye Wade concernant la validation de l’obtention par Petro- Tim Limited, société pétrolière dont Aliou est actionnaire, de la concession de deux blocs offshores dans l’espace maritime sénégalais.

La BBC, la chaine de télévision britannique a effectué une retentissante enquête sur « ce scandale à 10 milliards de dollars». La validation par décret de ladite concession est considérée par certains spécialistes des affaires comme un « délit d’initié » au profit d’un frère.

En effet, Macky Sall, ancien directeur de Petrosen, la Société des Pétroles du Sénégal chargée de la gestion des exploitations et prospections pétrolières et gazières, détenait des informations sur ce secteur, dont il aurait secrètement fait profiter à son frère au détriment de la concurrence.

Beaucoup de voix autorisées s’accordent à dire qu’il s’est agi, dans ce feuilleton politico-judiciaire,  purement et simplement d’un deal qui aurait permis à Sall frère d’engranger des centaines de milliards de francs CFA pour la revente de ses parts et, en sus, des commissions et cadeaux reçus.

Par ailleurs, Aliou Sall s’investit en politique avec le soutien du frère ainé. Il devint en 2014 maire de Guédiawaye, une grande agglomération de la banlieue dakaroise malgré des « contestations » que le président aurait fait taire à sa manière : un compromis financier avec les esprits rétifs.

Le 11 septembre 2017 intervient ce que Macky Sall a toujours refusé de faire, du moins selon les apparences et les déclarations à tout-va: signer un décret au profit de son frère. Il nomma Aliou directeur de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), chargée, conformément au décret de sa création, entre autres :

  • de gérer les dépôts et de conserver les valeurs appartenant aux organismes et aux fonds qui y sont tenus ou qui le demandent ;
  • de recevoir les consignations administratives et judiciaires ainsi que les cautionnements; gérer les services relatifs aux caisses ou aux Fonds dont la gestion lui est confiée.

Il va de soi qu’en raison de ses missions, la CDC constitue un organe public au rôle financier autant important que puissant au service de l’Etat. Cette forte exposition médiatique et politique d’Aliou dans bien de domaines lui a valu le sobriquet de « tête de turc » par qui l’on atteint le grand frère.

La belle famille du président, c’est-à-dire celle de la première dame s’illustre et se sert dans ce « bal des charognards » organisé par le maitre de céans.

Marième Faye Sall eut droit à une fondation « Servir le Sénégal ». La Fondation s’active dans le social, mais à en juger les « soutiens » financiers sous forme de dons ciblés, l’on se rend compte de l’importance du butin de guerre.

Mansour Faye, frère ainé de la première dame, est nommé, au lendemain de l’élection de son beau-frère, Délégué Général à la Protection et à la Solidarité Nationale. Il gagne en grade et en estime aux yeux du chef. Il fait son entrée dans le gouvernement de Mimi Touré comme Ministre de l’Hydraulique.

Plus tard, il devient, à la suite d’un remaniement ministériel, ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale ayant sous sa charge d’innombrables attributions: un cabinet et des services rattachés, un secrétariat général et services rattachés, cinq directions et six autres administrations.

Mansour Faye s’investit en politique pour non seulement cumuler des fonctions, mais et surtout jouir d’une légitimité politique. Aux élections municipales de 2014 fortement contestées par l’opposition et les observateurs, il fut « élu » maire de la ville de Saint-Louis.

Avec ses nombreuses fonctions, le natif de Saint-Louis se retrouve sous les feux de la rampe en raison de la crise sociale liée à la pandémie du corona virus. Il coordonne l’aide gouvernementale en vivres destinée aux nécessiteux sur l’étendue du territoire national, sans oublier la gestion des inondations dont il fut un temps le responsable avec un budget de plusieurs centaines de milliards de francs CFA.

En homme si « attentionné et généreux » Macky étend sa magnanimité népotique au sein de la famille élargie. A Abdoulaye Timbo, l’oncle, et par ailleurs ancien Directeur général du défunt Fond national de la Promotion de la Jeunesse, fut « attribuée » la mairie de Pikine, grande agglomération de la banlieue de Dakar, au beau-père la présidence du Conseil d’administration de l’unique société de gestion des ressources pétrolières et gazières du pays (PETROSEN).

Aicha Gassama, fille de Macky Gassama, l’homonyme du président, se voit nommée au poste de conseillère technique du ministre de la Justice. Mamadou Gassama frère de Macky Gassama devient président du Conseil d’administration de l’Agence nationale de la maison de l’Outil (ANAMO).

Sur le plan économique beaucoup d’hommes d’affaires sulfureux ont gagné des parts de marché soit en raison de leur filiation avec le couple présidentiel ou simplement grâce à un entregent circonstanciel. Le tout dans une opacité totale et sans tenir compte de leurs compétences ou aptitude à remplir le cahier des charges contenu dans les appels d’offres de soumission.

Pour couronner le tout, il importe de citer les postes diplomatiques, les chargés de missions et toutes autres nominations laissées à la discrétion du président de la République. Seul Dieu et lui seul sait l’ampleur du phénomène népotique sous l’ère Macky Sall, où la famille élargie et les amis, animés d’un ardent et prioritaire désir de s’enrichir à outrance, se servent des deux mains.

Macky Sall considère le pouvoir comme une source de jouissance, pour lui, ses proches et amis de tout ordre. Le constat de Rawane Diop en dit long sur cette promotion familiale à coups de décrets, par soutiens financiers ou par tout autre procédé ou moyen à la disposition du président de la République :

« Ces patronymes reviennent et souvent à l’évocation de la famille présidentielle : Faye, Sall, Timbo, Gassama, Diacko…, tous dans les starting-blocks pour des postes de responsabilités et des investitures dans la course aux élections locales de juin 2014.

« A l’évidence, deux griots du président sont députés à l’Assemblée nationale et membres du conseil d’administration d’une société de droits d’auteur sénégalais. Les fonctions de direction de services nationaux, les fonctions de direction des organismes du secteur parapublique et des autorités indépendantes sont pourvues selon des critères qui tiennent aux rapports sociaux, aux affinités politiques telles que le militantisme, le degré d’implication dans les activités du parti ou le rapport à l’électorat. » (Diop, 2014 : 116).

Népotisme et Etat de droit

« La famille est un ennemi en politique, il faut l’en éloigner le plus loin possible », dixit le président Senghor, interpelé sur l’implication et le rôle de sa famille dans la gestion de l’Etat.

« J’ai quitté le PDS à cause de mon opposition à la dévolution monarchique ». Le candidat Macky Sall à l’élection présidentielle de 2012 s’en prend, lors d’un meeting, à Abdoulaye Wade, alors président sortant, pour ses présumées intensions de « léguer » le pouvoir à son fils Karim.

« Je ne mêle jamais ma famille à la gestion du pays. Si mon frère a été amené à être cité dans des affaires de sociétés privées, c’est parce je lui avais justement indiqué très clairement, dès ma prise de fonctions, qu’il ne bénéficierait jamais, de ma part, d’un décret de nomination, notamment en raison de l’histoire récente du Sénégal [Dévolution monarchique du pouvoir présumée de Wade père à son fils Karim ndlr] et parce que je ne voulais pas être accusé de népotisme. » Ainsi s’exprimait le président Macky Sall lors d’un entretien avec le magazine Jeune Afrique, en décembre 2016.

« Macky Sall a confié la Caisse des Dépôts et consignations à son frère, alors qu’il avait assuré qu’il n’allait jamais le nommer. Nous avons compris son jeu. » Abdoulaye Wade, ancien président et désormais opposant.

De ces propos on retient que ces personnalités n’ont pas mis de gants pour condamner ce phénomène qu’est le népotisme, qu’il soit sous la casquette d’un président en exercice, d’un candidat à une élection présidentielle, d’un opposant ou d’un ancien président.

On pourrait comprendre par là que ces figures de l’Etat annonçaient la prise de leurs fonctions sous le sceau de la rupture, en particulier Macky, « victime » présumée de cette fièvre népotique. Mais que dalle ! Il est clair que ces dirigeants n’ont fait que nourrir et entretenir la pratique népotique, certes à des degrés divers, durant leur passage à la magistrature suprême.

Ce fait ne manque, pas tout de même, de soulever quelques questions: Que dit la constitution sénégalaise par rapport au pouvoir de nomination du président ? Est-il possible de concilier le fait d’être citoyen et en même temps proche du président ? Quel est le rapport entre népotisme et Etat de droit ?

En son article 44, la loi fondamentale sénégalaise adoptée en 2016 stipule que « le président de la République nomme aux emplois civils ». Il s’y ajoute en son article suivant son pouvoir de nomination aux emplois militaires.

L’article 49 consacre celui de nommer et de congédier le premier Ministre qui choisit les membres de son gouvernement soumis à l’approbation du président de la République. Ces dispositions relatives aux prérogatives du président de la République en matière de nomination ne souffrent aucune ambigüité. Vu sous cet angle, toute décision prise dans ce sens s’avère tout à fait légale.

Ce pouvoir discrétionnaire rend également légale la nomination à un poste d’un citoyen par ailleurs proche ou non du président en exercice. Les citoyens naissent libres et égaux en devoirs et droits dans une République et, cela sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion ou de filiation.

Le phénomène du népotisme dans ce cas devient délicat, car impliquant deux cas de figures liés l’un à l’autre:

  1. Le président est investi par la constitution du pouvoir de nommer ;
  2. Les proches du président sont des citoyens au même titre que les autres

Ces deux états de fait auraient le mérite de mettre fin au débat autour du népotisme, si la question du rapport entre le pouvoir discrétionnaire du président, l’Etat de droit et la morale ne se posait pas. La loi n’interdit pas l’immixtion réelle de la famille présidentielle dans la gestion publique mais la morale le réprouve expressément. Tout comme les principes de l’Etat de droit.

Maitre Adama Gaye analyse la sacralité de l’Etat de droit en termes de respect du mérite dans le choix des personnes à des postes de nomination par le président de la République. Il considère que le critère de base à toute nomination doit être la compétence, l’expérience reconnue ou avérée par rapport au travail sollicité.

Dans ce contexte, l’identité, l’appartenance à un parti politique, l’ethnie, la religion ou la filiation du futur promu ne jouent aucun rôle. Le mérite est le socle de l’intérêt suprême de la Nation, alors que la pratique népotique n’en fait que peu cas. On peut aider bien sûr sa famille et ses proches tout en préservant les valeurs d’équité, qui constituent le soubassement de toute République digne de ce nom.

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MUNTUNEWS
La rédaction

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