Crise anglophone au Cameroun : Entretien avec le député Dr. Hoffmann

Crise anglophone au CamerounBERLIN, ALLEMAGNE – 31 JANVIER: Christoph Hoffmann, FDP, membre du Bundestag, le 31 janvier 2018 à Berlin, Allemagne. ( Photo Inga Kjer/Photothek via Getty Images)

Entretien* avec le Dr. Christoph Hoffmann sur la guerre civile dans les régions anglophones du Cameroun. Le Dr. Christoph Hoffmann est député au Bundestag (Parlement Fédéral allemand).

Il y siège, entre autres, comme membre titulaire de la commission chargée de la coopération économique et du développement. Il a accepté de répondre aux questions de la rédaction de MUNTUNEWS.

« Je me suis engagé pour la cause des camerounais, parce que je suis convaincu que chaque personne a le droit de grandir sans être soumis à l’arbitraire et à la violence étatiques. »

  • Monsieur Hoffmann, vous vous êtes engagé, dès le début du conflit, aux côtés des camerounais, en particulier aux côtés de ceux et celles qui ont le plus à souffrir des conséquences de cette guerre civile. Mais permettez-moi de vous poser la question un peu curieuse de savoir pourquoi un député allemand défend les intérêts d’un pays qui ne joue pourtant aucun rôle déterminant au regard des intérêts économiques allemands ; un pays qui est pourtant si peu connu en Allemagne. Pourquoi cet engagement ?

Dr. Christoph Hoffmann : Je suis un fervent partisan du multilatéralisme. C’est-à-dire de la posture qui consiste à tenter de résoudre des problèmes politiques, sociaux ou techniques en travaillant avec plusieurs États. Mais cela ne peut fonctionner que si les pays assument leurs responsabilités diplomatiques.

Cette responsabilité doit être assumée même en cas de violations massives des droits de l’homme. C’est la responsabilité du parlement allemand et donc la mienne aussi.

En outre, bon nombre d’étudiants camerounais vivent en Allemagne. Il y a beaucoup de diplômés [camerounais, ndlr] qui travaillent dans des entreprises allemandes. Leur inquiétude pour le sort de leurs familles est omniprésente.

C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes concernées ont déjà cherché à échanger avec moi. J’essaie bien sûr de transporter ces préoccupations de ma circonscription à Berlin [capitale Fédérale, siège du Bundestag, ndlr.]

Facade du Palais du Reichstag, batîment abritant le Bundestag, le Parlement Fédéral allemand – (c) Canva Pro

De plus, je connais l’association DIKOME-CAMERUN e. V. Cette association située à Schopfheim, près de chez moi, travaille toute l’année de façon bénévole et sans salaire pour commercialiser le café de petits paysans camerounais – en toute équité et sans intermédiaires.

En effet, à cause de la guerre, les petits agriculteurs, en particulier, trouvent de moins en moins de preneurs. C’est un formidable projet qui, bien sûr, me fait réfléchir sur quel rôle je peux, à mon niveau, jouer pour faire quelque chose de positif.

Je me suis donc engagé pour la cause des camerounais, parce que je suis convaincu que chaque personne a le droit de grandir sans être soumis à l’arbitraire et à la violence étatiques. Je voudrais profiter de ma position pour exprimer ces valeurs et défendre les intérêts des citoyens de ma circonscription.

Enfin, il est de l’intérêt de l’Allemagne que l’Afrique de l’Ouest bénéficie de la stabilité et de la prospérité. La paix au Cameroun en fait partie. Pour conclure, je ne m’engage pas seulement pour la cause du Cameroun.

Je soutiens un point de vue jusqu’ici inhabituel au Parlement, à savoir celui selon lequel l’Occident a une responsabilité du fait de la colonisation, et qu’à l’avenir, la démocratie et l’État de droit doivent passer avant la prétendue stabilité. Ce n’est qu’ainsi qu’il y aura une paix durable, qui profitera à toutes les parties concernées. Dans le cas d’espèce, au Cameroun tout comme à l’Allemagne.

« C’est un fait que le conflit au Cameroun doit avoir une solution politique. »

  • En mai 2019, une réunion informelle (Arrial Session) sur la guerre civile au Cameroun s’est tenue à l’initiative des États-Unis, du Royaume Uni, de la République dominicaine, mais aussi de la République Fédérale d’Allemagne. Pourriez-vous, autant que vous le pouvez, nous exposer brièvement la position de principe du gouvernement fédéral allemand sur la question camerounaise ?

DCH : C’est un fait que le conflit au Cameroun doit avoir une solution politique. Une solution militaire radicale n’apportera qu’une paix à court terme et ne serait pas non plus viable. Cela signifie qu’il faut trouver une solution acceptable par le biais d’un dialogue avec toutes les parties au conflit.

C’est précisément dans cette posture que se met l’Allemagne, ou les autres pays. Vous pouvez exercer des pressions diplomatiques et, le cas échéant, envisager des sanctions afin d’éviter une escalade de la violence et d’amener les parties à s’asseoir à «une table.» commune. Cela étant, la véritable solution doit finalement être apportée par les forces en rivalité au Cameroun.

« Je ne peux pas vous dire pourquoi M. le ministre Maas ou la chancelière n’est pas encore venu au Cameroun. Mes demandes ont été rejetées. »

  • Vous avez dernièrement fait un discours marquant au Bundestag. Et vos paroles présentaient à vos collègues députés quelques laideurs du spectre épouvantable de cette guerre. Vous avez notamment déclaré : « Tournons-nous vers le Cameroun. Le président a truqué les élections, brûlé 300 villages, il a carbonisé des enfants de 4 ans, des centaines de milliers de personnes sont en fuite. » Les politiques en Allemagne sont-ils conscients de l’ampleur de l’horreur dans cette guerre civile au Cameroun?

DCH : Je pense que de nombreux collègues sont conscients de l’ampleur de la crise. Mais vous devez également comprendre que notre Parlement ici doit avant tout représenter les intérêts allemands. Ceci n’entre pas forcément en contradiction [avec d’autres intérêts, ndlr], mais la charge de travail est extrêmement élevée.

Il y a beaucoup de crises, de changements et, avec Corona, des défis politiques internes sont sans précédent. Il est très difficile de rassembler toutes les forces des parlementaires et de les concentrer sur une seule question de politique étrangère.

Tenez un exemple : le groupe parlementaire du FDP [Parti libéral-démocrate, ndlr] compte 19 femmes et 61 hommes politiques, 58 d’entre eux sont nouveaux au Parlement, 22 étaient déjà membres du 17e Bundestag [du 27. Octobre 2009 au 22. Octobre 2013, ndlr].

Ensemble, nous partageons notre expertise en matière de politique budgétaire, économique, intérieure, extérieure, de développement, de politique environnementale et de défense.

Certains thèmes sont à nouveau subdivisés en régions, de sorte qu’aucune crise n’est oubliée. Mais bien sûr, tout le monde ne peut pas toujours s’en sortir. Ma collègue Gyde Jensen défend les droits des manifestants à Hong-Kong, une question importante. Je n’ai pas beaucoup à faire là-dedans.

En revanche, je me concentre sur l’Afrique, où mon estimée collègue est moins impliquée. Nous, 80 hommes et femmes politiques, essayons de travailler à une solution constructive et de participer au dialogue dans tous les domaines. Mais, j’espère que vous me donnerez raison qu’il est difficile, en tant que parti d’opposition, de faire voter ces solutions au Parlement.

En définitive, c’est le gouvernement, c’est-à-dire la coalition entre le SPD [Parti social-démocrate, ndlr] et l’Union Chrétienne-démocrate et sociale [CDU/CSU, ndlr], qui doit agir. Ils nomment les ministres et peuvent prendre les mesures appropriées.

Je ne peux pas vous dire pourquoi M. le ministre Maas [Ministre des Affaires étrangères, ndlr] ou la chancelière [Angela Merkel, ndlr] n’est pas encore venu au Cameroun. Mes demandes ont été rejetées.

M. Heiko Maas (SPD ; ancien ministre Fédéral de la justice, actuel ministre des Affaires Étrangères) à la veille des élections au Landtag de la Sarre, le 26 mars 2017 – (c) Sandro Halank, via Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0.

« Le Cameroun a besoin d’un système judiciaire indépendant pour mettre fin à l’arbitraire politique et permettre à l’appareil d’État de fonctionner à nouveau. »

  • Le gouvernement suisse a eu un temps à faire indirectement office d’intermédiaire entre le gouvernement camerounais et les séparatistes. Mais cette médiation a échoué. Elle n’a apporté aucune solution. À présent, c’est l’État du Vatican qui a fait savoir – cette fois de façon directe – qu’il était disposé à faire le médiateur. Le Secrétaire d’Etat du Saint-Siège a fait un long séjour au Cameroun à cet effet. Mais avant le Vatican, c’étaient déjà la Francophonie et le Commonwealth qui avaient essayé une médiation, mais sans succès. Comment jugez-vous tous ces efforts? Ne sommes-nous pas là dans une sorte de roue de hamster sans issues, et avec les mêmes recettes qui ne résolvent pas le problème?

DCH: Il ne faut pas perdre espoir. Du point de vue du droit international, il s’agit d’un conflit interne. On ne peut pas, pour des raisons juridiques et intellectuelles, dire qu’on intervient et qu’on impose aux Camerounais la paix et la démocratie.

Le Cameroun est un pays souverain. Il appartient maintenant aux deux parties de désigner les médiateurs qu’elles sont disposées à accepter. Ensuite, il faut voir avec sagesse quels États pourraient être utiles dans un processus de paix ; avec eux, il faudrait entamer des négociations individuelles et collectives.

Qu’il s’agisse des Nations unies ou de l’Union africaine, nous avons besoin d’une feuille de route claire pour les prochaines étapes. Le Cameroun a besoin d’un système judiciaire indépendant pour mettre fin à l’arbitraire politique et permettre à l’appareil d’État de fonctionner à nouveau. Il s’agit d’une première étape importante qui doit être acceptée par les deux parties du conflit.

Il faut également que les ONG locales jouent un rôle important en faveur de la réconciliation et que des négociations soient menées avec toutes les parties pour savoir si et comment une Fédération pourrait être une solution. Mais là aussi, nous avons besoin d’une volonté de dialogue de part et d’autre. Tout cela ne peut être soutenu par une seule partie ou par des pays « étrangers.»

Tant que les parties au conflit feront dépendre la paix d’une culture, d’une langue et d’une religion dominantes, il n’y aura pas de progrès. Cette vision des choses doit être surmontée. Tous les Camerounais ont droit à la paix, et c’est sur cette base que les négociations doivent commencer.

« Je pense que l’Allemagne pourrait faire un bon médiateur dans ce conflit, car la réputation de l’Allemagne est relativement intacte. »

  • Lors de votre discours, vous vous êtes adressé au ministre Fédéral des Affaires étrangères, M. Heiko Maas, et vous lui posé la question rhétorique : « Qu’en est-il du travail de mémoire et de réhabilitation au regard du passé colonial allemand? » Quel rôle, Dr. Hoffmann, aimeriez-vous voir jouer l’Allemagne dans la recherche d’une solution fondamentale et durable à ce conflit?

DCH : Comme je l’ai dit, je pense que l’Allemagne pourrait faire un bon médiateur dans ce conflit, car la réputation de l’Allemagne est relativement intacte. Le rôle de la France, ainsi que celui de la Grande-Bretagne, est beaucoup plus difficile. Pour le récit commun cependant, il serait opportun que les deux pays fassent face à leur passé colonial et fassent savoir qu’il ne peut y avoir qu’une solution commune.

« La France est notre meilleur ami en Europe, et à un tel on peut aussi conseiller de prendre de nouvelles mesures décisives. »

  • À la question de savoir si l’Allemagne pourrait jouer un rôle de médiateur dans le conflit camerounais, votre collègue, M. Ottmar von Holtz, a répondu une fois lors d’une interview accordée à la Deutsche Welle, entre autres ceci : « Je pense que le gouvernement Fédéral [allemand, ndlr] ferait bien de s’engager activement avec la France en vue d’une solution au Cameroun et de convaincre les Français d’accepter des initiatives internationales. » Pourquoi la France et pas un autre pays? Et pourquoi parler de «convaincre»?

DCH : La France entretient traditionnellement des relations étroites avec le Cameroun. Mais la France n’a, elle aussi, qu’une influence limitée, et elle a déjà œuvré en partie. La France est notre meilleur ami en Europe, et à un tel on peut aussi conseiller de prendre de nouvelles mesures décisives. La clé de la solution se trouve à Yaoundé. C’est ici que doit commencer la transformation.

Qu’il s’agisse de structures bilingues comme en Suisse, d’écoles multilingues et d’un système judiciaire indépendant avec l’aide de l’UA ou de l’ONU. Je pense que le nouvel engagement des États-Unis permettra également de faire bouger les choses.

Rencontre bilatérale entre le Président camerounais, M. Paul Biya et son homologue français, M. Emmanuel Macron, le 10 octobre 2019 à Lyon – (c) Communication Présidentielle, PRC
  • Dans votre discours, vous avez affirmé que M. Paul Biya, le président camerounais, a truqué les élections. Qu’entendez-vous par là ?

DCH : Exactement ce que j’ai dit.

« Il est certainement opportun qu’une grande partie de la société participe au débat sur ce que l’on souhaite pour une nouvelle Constitution ou un nouveau système électoral. »

  • La question du système électoral est actuellement débattue au Cameroun. Les acteurs politiques exigent du gouvernement que celui-ci s’associe à l’opposition et aux représentants de la société civile pour mener à bien la réforme du système électoral de façon consensuelle. L’un des partis d’opposition, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), a fait valoir que le système électoral actuel ne permettrait pas un changement démocratique à la tête du Cameroun, et que ce même système aurait par ailleurs contribué à l’émergence et à l’aggravation du conflit anglophone. Voyez-vous aussi ce lien de causalité ?

DCH : Je pense qu’il s’agit ici moins de la forme de la Constitution, mais surtout des détenteurs du pouvoir qui «occupent» les fonctions constitutionnelles et de quelle manière ceux-ci appliquent la loi en vigueur. Je ne veux pas m’immiscer dans les affaires intérieures, quel parti fait quoi, je n’en ai pas le droit.

Il est toutefois préoccupant que, selon l’expérience, une grande partie des lois soient adoptées par décret présidentiel et sans passer par le parlement, ce qui limite considérablement les fonctions législatives du parlement, de sorte que la composition du parlement ne jouera probablement aucun un rôle essentiel dans la future législation du pays.

En Afrique de l’Ouest, nous venons d’ailleurs de voir la Constitution être pliée en deux pour permettre au président de faire plus de deux mandats. L’histoire montre que les pays qui ont opté pour le changement ont connu plus de succès.

Il est certainement opportun qu’une grande partie de la société participe au débat sur ce que l’on souhaite pour une nouvelle Constitution ou un nouveau système électoral. Pour de nombreux pays africains, une Constitution décentralisée – comme en Suisse, par exemple – serait certainement utile. Mais c’est aux populations locales d’en décider, pas seulement aux élites.

  • En Allemagne, les élections pour le Bundestag devraient se tenir fin septembre. Allez-vous vous présenter à nouveau pour le compte du FDP ?  

DCH : Oui, je veux me présenter à nouveau et je suis en 9e position sur la liste du Land du Bade-Wurtemberg, donc si le FDP obtient 9% ou plus dans le Bade-Wurtemberg, ça suffira pour rentrer de nouveau au Bundestag. Je pense bien que ça va marcher.

Le Dr. Christoph Hoffmann (*1957) est un homme politique allemand. Il fut maire de la commune de Bad Bellingen de 2007 à 2017. Aujourd’hui, il est membre du Parlement Fédéral allemand [le Bundestag] pour le compte du Parti libéral (Freie Demokratische Partei, FDP).

Il est garde forestier de profession, et a notamment travaillé dans la réglementation forestière et la protection de l’environnement à l’est de la Côte d’Ivoire. Il est membre du bureau de la Fondation allemande pour l’Afrique (Deutsche Afrika Stiftung e. V.), une institution à but non lucratif dont le but est d’intensifier les relations entre les pays africains et l’Allemagne et d’informer le public allemand sur l’Afrique.

*L’entretien s’est déroulé en allemand. La version française ci-dessus est une traduction.

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