L’inéligibilité d’Alassane Ouattara : Voici les raisons juridiques

Alassane Ouattara Constitution

Parlant de la candidature d’Alassane Ouattara, l’opinion s’accorde à dire qu’elle est en marge de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire. Nous nous proposons de mettre à votre disposition une appréciation juridique de la question. Elle est donnée par le juriste ivoirien Dan Félix Kamayo.

La question de l’interprétation des articles 55 et 183 de la Constitution

  • Le Commité d’Experts : Le comité d’Experts rédacteurs de la Constitution du 08 novembre 2016 est divisé sur la question de l’article 183. La division date de la sortie médiatique du Ministre Cissé Bacongo, Conseiller spécial du Président, le 29 juillet 2020 :
  • Le ministre revient sur son propos : « Vous savez, j’ai eu 4 ans pour lire et relire les dispositions de la nouvelle constitution et, notamment les articles 55 et 183. Je reconnais en avoir fait une mauvaise interprétation à l’époque (…). La constitution du 08 novembre remet effectivement les compteurs à Zéro. »
  • L’article 55 : les stipulations de l’article 55 nouveau de la Constitution du 08 novembre 2016 en vigueur qui précise que : « Le Président de la République est élu pour cinq an au suffrage universelle direct. Il n’est rééligible qu’une seule fois. Il choisit un vice-Président en accord avec le parlement« 

Le problème relatif à l’entrée en vigueur de la constitution

  • Constitution de 2000 ou celle de 2016 ? : Cette disposition constitutionnelle institue la limitation des mandats présidentiels à deux en Côte d’Ivoire. Mais cette Constitution est entrée en vigueur au cours du second mandat engagé d’Alassane Ouattara, après son élection en 2015 sous l’empire de la défunte Constitution de 2000.
  • Remise des compteurs à zéro ? : Quel est donc le statut personnel d’Alassane OUATTARA au regard de la Constitution du 08 novembre 2016? L’entrée en vigueur de la Constitution de 2016, a-t-elle pu apporter une remise à Zéro des compteurs, c’est -à-dire, l’effacement des deux mandats précédents, avec la possibilité pour le Président de la République de faire deux autres mandats ?

Rappels de quelques notions démocratiques

  • Le système démocratique et républicain : En Côte d’Ivoire, nous sommes dans le cas d’espèce d’une République démocratique attachée au principe de l’Etat de droit. (Cf. préambule de la constitution du 08 novembre 2016).
  • La République : Elle désigne un mode de gouvernance dans lequel le pouvoir est exercé par des personnes élues. Elle est surtout une forme d’organisation de la dévolution et de l’exercice du pouvoir politique institutionnalisé dont la naissance est liée à l’adoption par le peuple d’une Constitution. Elle est toujours suivie d’élection pour la désignation du Président de la République. L’élection réalise ainsi une profonde légitimation pour l’exercice du pouvoir souverain.
  • La première République : En Côte d’Ivoire, la première Constitution, promulguée le 04 novembre 1960, a été suivie du scrutin présentiel du 27 septembre 1960 qui a vu l’élection de Félix Houphouët BOIGNY, le premier Président de la République de Côte d’Ivoire. En son article 74, elle stipulait : « Les dispositions nécessaires à l’application de la présente Constitution feront l’objet des lois votées par l’Assemblée nationale. Le président de la République devra entrer en fonctions et l’Assemblée nationale se réunir au plus tard à la date du 12 décembre 1960. »
  • La deuxième République : En 2000, avec la 2ème République, le principe va également être respecté. Et la 2ème République débutera avec l’élection présidentielle du 22 octobre 2000 qui sera remportée par Laurent GBAGBO.
  • La troisième République? : Par contre, en 2016, avec la Constitution du 08 novembre 2016, l’on a pu constater qu’elle n’a pas été suivie d’une nouvelle élection du Président de la République pour la mise en place de 3ème République.
  • L’élection du Président de la République : Ainsi, s’il est pertinent de soutenir que la naissance d’une nouvelle République remet les compteurs à zéro, avec l’avènement d’une nouvelle ère politique marquée par de nouvelles institutions, force est de faire remarquer que cette nouvelle ère s’accompagne logiquement de l’élection de nouveaux dirigeants, en l’occurrence celle du Président de la République pour les incarner légitimement. Mais le Constituant de 2016 n’ayant pas jugé nécessaire de convoquer à nouveau le peuple pour la désignation d’un nouveau Président de la République qui aurait prêté serment sur la Nouvelle Constitution, que s’est-il donc passé ? Aussi convient-il de s’interroger sur le statut constitutionnel de l’actuel Président.

Le statut constitutionnel d’Alassane Ouattara

  • Son statut dans la nouvelle Constitution : Quel statut la constitution du 08 novembre 2016 confère-t-elle à Alassane Ouattara, vu qu’elle est entrée en vigueur au cours de son second mandat engagé, après son élection en 2015 sous l’empire de la défunte Constitution de 2000 ? Comment son cas a-t-il été réglé par le Constituant, sans qu’on ait eu à procéder à une nouvelle élection ? La réponse à cette question essentielle est fournie par les stipulations des articles 179 et 184 cidessous insérés au titre XVI de ladite Constitution qui traite des dispositions transitoires et finales. Il s’agit là d’indices intrinsèques tirés de la constitution elle-même, dont la lecture est suffisamment révélatrice.
  • Article 179 : « Le Président de la République en exercice à la date de la promulgation de la présente Constitution nomme le Vice-Président de la République après vérification de ses conditions d’éligibilité par le Conseil constitutionnel. Le Président de République met fin à ses fonctions. Le Vice-Président de la République ainsi nommé prête serment dans les conditions prévues par la loi devant le Conseil constitutionnel réuni en audience solennelle. »
  • Article 184 : « La présente constitution entre en vigueur à compter du jour de sa promulgation par le Président de la République. Elle est publiée au Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire et exécutée comme loi de l’Etat. »
  • Maintien en fonction d’Alassane Ouattara : Ces deux dispositions relatives à la désignation du Vice-président de la République et à l’entrée en vigueur de la Constitution, montrent expressément le maintien en fonction du Président Alassane Ouattara pour permettre l’application de la Constitution au cours de son second mandat.
  • Le « Président de la République en exercice » : On notera à cet effet l’utilisation par le constituant, à l’article 179 alinéa 1 ci-dessus, de la terminologie de « Président de la République en exercice » renvoyant à Alassane Ouattara dont les prérogatives présidentielles sont sollicitées pour désigner le Vice-Président et promulguer la Constitution. En outre, de cet exercice, il ne peut s’agir que de celui de son second mandat de 2015 à 2020.
  • Le principe de l’intangibilité des droits acquis : Ces dispositions constitutionnelles traduisent au plan juridique l’application d’un principe général du droit à valeur constitutionnelle dans tout système juridique au monde : celui de l’intangibilité des droits acquis, motivé par le souci d’assurer la sécurité juridique des situations personnelles et leur continuité. En d’autres termes, le principe des droits acquis est un élément constitutif de l’État de droit.
  • Le cas d’Alassane Ouattara : S’agissant du Président Alassane Ouattara, c’est la reconnaissance ou confirmation de son statut personnel de Président de la République en exercice au titre de son second mandat, établi par le Conseil constitutionnel lors de sa prestation de serment en 2015 et la continuité de ce statut sous la troisième République, qu’il chapeaute sans y avoir été élu. Ce statut de Président de la République en exercice ayant été acquis à l’occasion de sa victoire pour son second mandat à l’élection présidentielle de 2015, tenue sous l’empire de la Constitution de 2000.
  • Alassane Ouattara demeure Président en exercice de la deuxième République : Comme on le voit, la Constitution actuellement en vigueur n’a pas pu faire disparaitre à l’évidence pour Alassane Ouattara, ce qui a été fait par le passé sous l’empire de la défunte Constitution. Ses précédents mandats n’ont donc pas été effacées; ils ont été actés et repris par la nouvelle constitution à travers les articles 179 et 184 qui l’ont maintenu en fonction, avec ses droits, ses obligations et ses antécédents constitutionnels, bref son statut personnel antérieurement acquis. Ces précédents mandats n’ont donc jamais été effacés par la Constitution, vu que sa qualité de Président de la République n’a nullement été remise en cause. L’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, qui au demeurant le maintien en fonction, ne peut opérer une novation avec un quelconque effet d’effacement. Dans ce cas d’espèce, le Constituant, l’aurait stipulé clairement.
  • La Constitution de 2016 n’a pas prévu d’éffacement de mandats : Dès lors, il apparait incongru de spéculer ou épiloguer sur un quelconque effet d’effacement de mandats quand la constitution ne l’a pas prévu et de surcroît maintient expressément Alassane Ouattara en fonction en qualité de Président de la République. Comment comprendre, si ce n’est sur la base de ses antécédents constitutionnels et notamment, de son élection en 2015, et sa prestation de serment pour son second mandat, dont le Conseil Constitutionnel est le gardien. Si cette argumentation devait être réfutée par d’éventuels contradicteurs, comment ces derniers justifieraient-ils techniquement la position, sans y avoir été élu sous son empire, d’Alassane Ouattara à la tête de la nouvelle République ?
  • Un mandat constitutionnel en cours en saurait s’éffacer sans nouvelle élection : La remise absolue des compteurs à zéro, alléguée par les partisans du pouvoir et qui équivaut à invoquer l’effacement aurait dû nécessiter la convocation d’une nouvelle élection présidentielle après l’adoption de la Constitution en 2016, comme cela l’a été pour les parlementaires. La théorie de l’effacement des mandants précédents ou de la non retro activité de la constitution, soutenue par ceux qui s’en servent comme un bouclier relève purement et simplement de l’imaginaire politicien et non du droit, car un mandat constitutionnel en cours, notamment le second, ne peut s’effacer sans que le Président de la République ne soit lui-même effacé et renvoyé devant le peuple souverain.

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La rédaction

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